L’Allemagne et le mouvement America First
Après un séjour de six mois en Grande-Bretagne, les Lindbergh se rendent en Allemagne, où ils sont traités comme des invités d’honneur du Troisième Reich. Charles visite les centres de l’aviation militaire, où il évalue le rythme du réarmement de l’Allemagne, tandis qu’Anne est fêtée à Berlin. Lindbergh fait l’éloge des avions de chasse et des bombardiers de la Luftwaffe et affirme que « l’Europe et le monde entier ont la chance que l’Allemagne nazie se trouve actuellement entre la Russie communiste et la France démoralisée ». Lindbergh considérait l’Union soviétique comme la menace primordiale pour la civilisation occidentale, et sa croyance en la suprématie de la puissance aérienne l’a amené à conclure que la Grande-Bretagne et la France étaient effectivement prostrées devant la puissance croissante de la Luftwaffe.
Pendant toute la fin des années 1930, Lindbergh parcourt le monde en tant qu’ambassadeur sans portefeuille. Il retourne en Allemagne en octobre 1938, et Hermann Göring le décore de la croix de service de l’aigle allemand. Bien que cela lui ait valu de nombreuses critiques, Lindbergh reste extrêmement populaire auprès du public américain. Les Lindbergh s’apprêtaient à acheter une maison à Wannsee, dans la banlieue de Berlin, lorsque les nazis ont perpétré les pogroms connus sous le nom de Nuit de cristal dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Lindbergh et sa famille se sont plutôt installés à Paris, avant de se réinstaller aux États-Unis quelques mois avant le début de la Seconde Guerre mondiale.
A son retour, Lindbergh est devenu un ardent défenseur de la neutralité américaine. Il considérait le conflit européen comme une querelle fraternelle entre une Allemagne ascendante et les pays qui cherchaient à lui refuser une place de pouvoir et de prestige ; l’Allemagne seule, selon Lindbergh, pouvait « endiguer les hordes asiatiques » et empêcher l’envahissement de l’Europe. Dans un essai pour le Reader’s Digest en novembre 1939, Lindbergh mettait en garde contre « une guerre au sein de notre propre famille de nations, une guerre qui réduirait la force et détruirait les trésors de la race blanche », et il plaidait en outre « ne commettons pas de suicide racial par un conflit interne ». Lindbergh n’était pas la seule personne à prôner l’isolationnisme américain sur la base des notions de suprématie blanche, et il n’était pas le seul à suggérer que les Juifs étaient le groupe le plus intéressé à impliquer les États-Unis dans la guerre en Europe. Le prédicateur radiophonique antisémite Charles Coughlin a fait sien le message de Lindbergh, et les déclarations publiques de Lindbergh allaient servir d’impulsion principale à la création du America First Committee en 1940. Ce groupe, qui se targuait de compter 800 000 membres, s’opposait à l’aide américaine aux Alliés et comptait Lindbergh comme son plus éminent porte-parole.
Pendant cette période, Lindbergh agissait également en tant que conseiller de haut niveau auprès de l’U.S. Army Air Corps, et il entretenait une correspondance personnelle avec le général commandant, Henry (« Hap ») Arnold. L’argument de Lindbergh en faveur de l’augmentation de la capacité de défense des États-Unis trouve une audience favorable parmi les planificateurs militaires, mais sa vision stratégique est aveuglée par sa conviction que l’aviation est une innovation exclusivement occidentale, « l’une de ces possessions inestimables qui permettent à la race blanche de vivre dans une mer pressante de jaunes, de noirs et de bruns ». Lors d’une réunion de l’America First en octobre 1940, Lindbergh déclare qu' »aucune nation d’Asie n’a suffisamment développé son aviation pour constituer une menace sérieuse pour les États-Unis à l’heure actuelle ». Un peu plus d’un an plus tard, l’attaque japonaise sur Pearl Harbor allait démontrer combien cette conclusion était fatalement erronée.
Le débat public sur la guerre est devenu une bataille personnelle entre Lindbergh et le président Franklin D. Roosevelt. En avril 1941, lorsque Roosevelt compare Lindbergh au sympathisant confédéré Clement Vallandigham, Lindbergh répond en démissionnant de sa commission de réserve de l’Air Corps. Tout au long de l’année 1941, Lindbergh se consacre au mouvement anti-guerre, s’adressant à des milliers de personnes d’un bout à l’autre du pays. Harold Ickes, secrétaire à l’intérieur de l’administration Roosevelt, qui s’est imposé comme le contre-pied le plus efficace et le plus tenace de Lindbergh, met publiquement Lindbergh au défi de dénoncer l’Allemagne nazie. Lindbergh refuse. Avec même des amis proches et des partisans comme Robert E. Wood implorant Lindbergh de répondre au chœur d’accusations pro-nazies contre lui, Lindbergh est plutôt passé à l’attaque.
Le 11 septembre 1941, lors d’un discours d’America First à Des Moines, dans l’Iowa, Lindbergh identifie les « Britanniques, les Juifs et l’administration Roosevelt » comme des « agitateurs de guerre » qui ont utilisé la « désinformation » et la « propagande » pour tromper et effrayer le public américain. La réaction est immédiate. Le soutien public à Lindbergh s’évapore, et le discours de Des Moines est dénoncé comme antisémite et non américain. Lors d’un énorme rassemblement « America First » au Madison Square Garden le 30 octobre 1941, de nombreux participants affichent ouvertement des sympathies nazies. Le prochain discours de Lindbergh est prévu pour le 10 décembre, mais il est devancé par l’attaque de Pearl Harbor. Les partisans de l’America First ont exprimé leur conviction que Roosevelt avait trouvé une « porte dérobée vers la guerre ».