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Jusqu’à présent, en tout cas. Lorenzo Talà, doctorant dans le laboratoire d’Alexandre Persat aux Instituts de bioingénierie et de santé globale de l’EPFL a développé une méthode de microscopie qui permet d’observer directement les structures que de nombreuses bactéries utilisent pour ramper.

« Les surfaces bactériennes sont décorées de filaments protéiques impliqués dans la motilité, l’adhésion, la signalisation et la pathogénicité, qui régissent finalement la façon dont les bactéries interagissent avec leur environnement », explique Talà. « Cependant, ils sont si petits que les observer dans des cellules vivantes est extrêmement complexe. Cela est particulièrement vrai pour les structures connues sous le nom de « pili de type IV » : des filaments de l’ordre du nanomètre qui s’étendent et se rétractent de la surface de nombreuses bactéries, les aidant à marcher d’une manière connue sous le nom de « motilité saccadée ». Le terme peut ne pas sembler très sérieux, mais il active mécaniquement la virulence de certains agents pathogènes — ce qui signifie qu’il s’agit d’une cible de choix pour les combattre.

Les scientifiques ont étudié la bactérie Pseudomonas aeruginosa, un pathogène opportuniste que l’on trouve couramment dans le sol. C’est l’une des bactéries les plus préoccupantes sur le plan médical : cause majeure d’infections nosocomiales et d’infections graves dans les cas de mucoviscidose, de brûlures traumatiques et de patients immunodéprimés, elle est désormais classée n°1 sur la liste de surveillance des résistances aux antibiotiques de l’Organisation mondiale de la santé.

Mais les bactéries isolées orchestrent-elles le mouvement des pili de type IV pour alimenter leur motilité ? « Dans nos études sur les pili de type IV et la mécano-activation de la virulence chez Pseudomonas aeruginosa, un paradoxe technique a été une source de frustration : les pili, mais aussi les fimbriae, les flagelles et les systèmes d’injection s’étendent en permanence à l’extérieur des cellules uniques, alors pourquoi ne pouvons-nous pas les visualiser directement ? »

Pour surmonter ce problème, les scientifiques ont exploré une méthode de microscopie émergente mise au point par leur collaborateur Philipp Kukura à l’Université d’Oxford. Grâce à une technique appelée microscopie à diffusion interférométrique (iSCAT), ils ont pu voir ces filaments de quelques nanomètres de large dans des cellules vivantes, sans aucun marquage chimique, à grande vitesse et en trois dimensions.

« L’iSCAT représente une avancée technologique majeure en microbiologie », déclare Persat. « Nous avons récemment décrit la technique de visualisation et reçu de nombreux commentaires positifs de la part de scientifiques de diverses disciplines, simplement parce que nous pouvions enfin observer de manière dynamique les pili dans des bactéries vivantes, directement à partir de la culture. »

Pour comprendre la coordination des mouvements des pili de type IV, les scientifiques se sont concentrés sur le chronométrage précis de la succession de l’attachement à la surface, de la rétraction et des déplacements du corps cellulaire à l’aide d’iSCAT. Cette approche a révélé trois événements clés qui conduisent à un mouvement réussi et énergétiquement efficace sur les surfaces.

Premièrement, le contact de l’extrémité du pilus avec la surface active un moteur moléculaire qui initie la rétraction. Ensuite, cette rétraction renforce l’attachement du pilus à la surface, augmentant le déplacement de la bactérie. Enfin, un second moteur moléculaire plus puissant renforce le déplacement de la bactérie en cas de friction élevée.

Cette séquence montre que les pili agissent comme des capteurs, et révèle un nouveau mécanisme par lequel les bactéries interagissent avec les surfaces. Elle révèle également que les bactéries utilisent des mécanismes sensoriels pour coordonner le mouvement dynamique de leurs machineries de motilité, dans une analogie frappante avec la façon dont les organismes supérieurs, y compris les humains, bougent leurs membres pour générer un déplacement.

« Le système nerveux central humain traite les signaux mécanosensoriels pour engager séquentiellement les composants moteurs, déclenchant ainsi la contraction musculaire et résultant de la démarche », explique Talà. « Notre travail montre que, de la même manière, les bactéries utilisent le sens du toucher pour engager séquentiellement des moteurs moléculaires, générant des cycles d’extension et de rétraction des pili qui aboutissent à un modèle de marche. »

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