Déficience, incapacité et handicap : des concepts démodés ? | Journal of Medical Ethics

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J’ai lu avec intérêt les articles de Reindal et Harris depuis, même si j’admets que leurs articles vont au-delà de la défense des modèles, ils illustrent les dangers de l’approche carcérale des problèmes que représente l’utilisation des modèles.1,2 Un côté implique que si vous êtes un défenseur du modèle médical, vous ne pouvez pas comprendre l’impact social, et l’autre que si vous défendez le modèle social, vous devez ignorer la déficience physique. J’ai récemment pris ma retraite après une vie professionnelle passée à essayer de fournir des services aux enfants handicapés, et dans la pratique, ces modèles mutuellement exclusifs ne fonctionnent pas. La plupart de mes patients présentaient des handicaps physiques qui, bien que rarement guérissables, nécessitaient généralement un traitement. Ces handicaps physiques les empêchaient souvent d’effectuer des actions, comme marcher par exemple, que leurs camarades non handicapés n’avaient pas de problème à effectuer. Ils étaient handicapés. Pour beaucoup d’entre eux, la réponse de la société à leur déficience et à leur handicap, une éducation inadéquate, le rejet par leur famille ou leur communauté par exemple, ont causé des problèmes supplémentaires ; ils étaient handicapés. L’effet de la pression sociale sur la réponse au handicap peut influencer très fortement le bien-être de la personne handicapée. Par exemple, un enfant atteint d’une anomalie chromosomique majeure n’a jamais été reconnu par sa famille. Ses frères et sœurs n’étaient pas autorisés à jouer avec elle, et on ne leur disait pas qu’elle était leur sœur. Sa famille appartenait à une secte religieuse stricte dans laquelle la stigmatisation de l’anomalie congénitale était telle qu’elle aurait, par exemple, affecté l’aptitude au mariage de ses frères et sœurs. À l’âge de quatre ans, j’ai perdu le contact avec elle et j’ai appris qu’elle avait été placée dans une institution résidentielle à long terme. En effet, en raison de la pression sociale, cette famille niait, même au sein de la famille immédiate, que son propre enfant était bien un membre de la famille. Il est intéressant de noter que Mundel a découvert que dans les familles d’immigrants, les mères, lorsqu’elles comptaient leurs enfants, laissaient souvent de côté l’enfant handicapé comme s’il n’existait pas.3

Bien que ce soit vieux jeu, je souhaite suggérer que l’utilisation des trois termes, déficience, incapacité et handicap, unit les différents modèles et a une valeur pratique. Les définitions de ces mots que je vais commencer par utiliser sont celles de la classification originale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)4 et non celles de sa récente version actualisée, car bien que cette dernière prétende viser à unifier les modèles médical et social, elle ne fait pas, à mon avis, une distinction suffisante entre, par exemple, la mauvaise qualité de l’air qui affecte la respiration et les mauvaises attitudes à l’égard du handicap, telles que décrites ci-dessus, qui affectent la vie des personnes handicapées5 : Déficience : toute perte ou anomalie de structure ou de fonction psychologique, physiologique ou anatomique. Handicap : toute restriction ou absence (résultant d’une déficience) de la capacité d’accomplir une activité de la manière ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain. Handicap : un désavantage pour un individu donné, résultant d’une déficience ou d’un handicap, qui limite ou empêche l’accomplissement d’un rôle normal (selon l’âge, le sexe et les facteurs sociaux et culturels) pour cet individu. Il est clair, cependant, que ces définitions ne sont pas adéquates en elles-mêmes et qu’elles doivent être modifiées.

Superficiellement, c’est le mot déficience qui semble nécessiter le moins de modifications, mais même celui-ci est, dans une certaine mesure, déterminé par la culture. Ce qui est considéré dans une société comme une déficience peut sembler bénéfique dans une autre. Il existe, par exemple, une tribu d’Amérique du Sud dans laquelle la spirochétose dyschromique, qui provoque des lésions cutanées colorées, est presque universelle, de sorte que ces lésions sont considérées comme si désirables que les quelques membres de la tribu qui échappent à l’infection sont incapables de trouver des partenaires de mariage.6 Si elle était attrapée par un étranger, elle constituerait une déficience défigurante. Ce phénomène est également bien illustré dans la fiction, dans Le pays des aveugles, de H G Wells.7 Dans cette histoire, un alpiniste tombe par hasard dans une vallée isolée, dont tous les habitants sont anophtalmes, et bien qu’il soit voyant, il est si maladroit qu’il ne peut pas fonctionner dans cette société. Il illustre également les dangers de s’accrocher à la mauvaise déficience. Les habitants de la vallée ne comprennent pas que ce sont ses sens autres que la vue qui sont en cause, mais ils supposent que son handicap est dû au fait qu’il est différent d’eux – il a des yeux. Le remède à sa déficience est donc simple : lui enlever les yeux. « Et alors il sera sain d’esprit ? Alors il sera sain d’esprit, et un citoyen tout à fait admirable ».8

Comme je l’ai fait valoir ailleurs9, ce genre d’erreur désastreuse dans la définition de la déficience ne se limite pas à la fiction. En définissant l’apparence faciale d’un enfant trisomique comme la déficience primaire, on pratique une chirurgie majeure et injustifiée pour la « guérir ». Il y a deux choses différentes qui sont dites ici. Dans l’exemple de Wells, si l’on considère l’espèce humaine dans son ensemble, ce sont les habitants de la vallée qui sont déficients ; ils ne possèdent pas les yeux qui sont la norme pour l’espèce. La déficience de l’alpiniste est due à ses autres sens peu développés. En se concentrant sur le physique, en adoptant pour ainsi dire le modèle médical, les habitants de la vallée se trompent dans le diagnostic et donc dans le traitement. En revanche, l’apparence faciale caractéristique du syndrome de Down peut être considérée comme une déficience, une variation par rapport à la norme de l’espèce. La chirurgie plastique ne va en aucun cas « guérir » le syndrome de Down. Elle n’augmentera pas, par exemple, les fonctions intellectuelles et ne réduira pas la susceptibilité de développer une leucémie. Ce qu’elle fera, c’est qu’il sera moins facile de reconnaître que la personne est atteinte du syndrome et donc, espérons-le, de diminuer les réactions sociales négatives à son égard.

Malgré ces limites, il est toutefois généralement possible de définir la perte de fonction, la déficience. La déficience est-elle toujours invalidante ou handicapante ? Harris et Reindal utilisent tous deux l’achondroplasie comme exemple, Harris affirmant qu’il ne s’agit pas d’une déficience. Il y a cependant une déficience ; il y a un retard de croissance des os longs. Harris affirme cependant que cette déficience est rarement invalidante et, dans la Grande-Bretagne actuelle, rarement handicapante. Cette opinion n’est pas partagée par Shakespeare, un sociologue atteint d’achondroplasie. Selon lui, une personne handicapée est une personne qui se sent elle-même handicapée (« No Triumph, No Tragedy », BBC Radio 4, juin 2000). Ce point de vue lie intimement les trois mots puisque, en particulier dans le cas d’une chose comme le retard de croissance, le fait que la personne qui en est atteinte considère la déficience comme invalidante sera coloré par l’effet handicapant de la réponse de la société à cette déficience.

Pour revenir aux deux exemples de l’alpiniste voyant et de l’enfant trisomique. Puisque le changement d’attitude ne se fait jamais du jour au lendemain, peut-on prétendre que le fait de les rendre normaux selon les critères dominants de leur communauté leur serait bénéfique ? L’ablation des yeux de l’alpiniste le rendrait, superficiellement, identique aux autres habitants de la vallée et faciliterait son mariage avec la fille du chef. Cependant, sur le plan social, en supprimant le seul sens aigu qu’il possède, cela le rendrait totalement impuissant, et pas seulement maladroit. Cela ne l’améliorerait en rien, ni d’ailleurs l’attitude des habitants de la vallée à son égard ; cela confirmerait leur conviction qu’il est un être inférieur. L’exemple du syndrome de Down est moins tranché, car les avis sont partagés quant à savoir si l’apparence faciale caractéristique est effectivement primordiale pour définir l’attitude de la société à l’égard du syndrome de Down. Olbrisch, un chirurgien plasticien, affirme que « bien que le retard mental soit le plus critique de tous les handicaps du syndrome de Down, c’est l’apparence faciale qui constitue la barrière entre l’enfant et son acceptation dans la société », et que la chirurgie corrective améliore effectivement la réponse de la société, puisque, avant que l’enfant ne soit opéré, « beaucoup changent leur attitude envers l’enfant en croyant à tort qu’il doit être un imbécile parce qu’il en a l’apparence ».10 D’autre part, Pueschel et al, ont constaté que, sur la base d’un questionnaire remis aux parents d’enfants trisomiques, 83% d’entre eux estimaient que leurs enfants étaient bien acceptés par la société.11 Quoi qu’il en soit, la chirurgie lourde n’est pas pratiquée pour améliorer le fonctionnement de l’individu, mais pour améliorer la réaction des autres à son égard. Dans un récent programme télévisé (« Changing Faces », Carlton Television, Nov 1998), il ne faisait aucun doute que le patient adulte interrogé estimait avoir tiré un grand bénéfice de l’opération. D’un autre côté, un très jeune bébé, incapable de donner son consentement, a été soumis à une intervention chirurgicale majeure, qui l’a coupé du contact avec ses parents, à un moment crucial du développement des liens affectifs et de la communication. À mon avis, à moins que la personne concernée ne soit capable de donner un consentement pleinement éclairé, les dommages l’emportent sur les avantages

La définition du handicap est plus problématique car elle utilise le terme normal, chargé de valeurs. Il est clair que si ce terme est utilisé statistiquement, alors dans la vallée de H G Wells être sans yeux est normal et avoir des yeux est anormal. Boorse tente de surmonter ce problème, bien que dans le cadre d’une discussion sur la maladie et le handicap, en suggérant que « la seule propriété unificatrice de toutes les maladies reconnues… ». semble être la suivante : elles interfèrent avec une ou plusieurs fonctions typiquement exécutées par les membres de l’espèce », et que ce qui rendrait l’anophtalmie anormale, c’est qu’elle est « contre nature… en étant atypique ».12

Ce n’est pas en soi une réponse satisfaisante, puisque ce qui est typique ou atypique pour l’espèce peut lui-même être déterminé culturellement dans certains cas. Par exemple, une déficience qui empêche de marcher entraîne vraisemblablement un handicap dans n’importe quelle société, mais une déficience qui entraîne une dyslexie n’entraînera un handicap que dans une société alphabétisée, car même si l’on prétend que la compétence, savoir lire par exemple, est innée chez tous les humains, dans une société qui n’utilise pas cette compétence l’incapacité à lire sera masquée. A cet égard, la définition de l’OMS de l’incapacité, en la rapportant à l’ensemble de l’espèce plutôt qu’à des communautés spécifiques comme elle le fait pour le handicap, est trop large.

La définition du handicap est particulièrement problématique et est peut-être la moins utile des trois car elle est souvent ressentie comme discriminatoire en soi, avec la suggestion qu’elle dérive de « cap in hand », impliquant que les personnes handicapées sont censées mendier les faveurs des personnes capables. Une définition du dictionnaire suggère toutefois une autre origine, celle de « hand i’ cap », une forme de loterie sportive.13 L’idée est que, de la même manière que la communauté sportive impose une charge à certains golfeurs ou chevaux, la communauté générale impose une charge à certains de ses membres. Il convient toutefois de noter que, si la première proposition vise à rendre les choses plus équitables, la seconde ne le fait absolument pas. Elle implique également que le handicap, comme la déficience, est intrinsèque à l’individu, alors qu’en général, c’est la réponse de la communauté des personnes valides à celles qui ont des déficiences et des incapacités qui est la principale source de handicap. Au début de ma carrière, je me souviens encore d’avoir assisté à une conférence sur les installations pour les personnes handicapées, organisée dans un grand hôpital universitaire, au cours de laquelle l’orateur principal, qui se déplaçait en fauteuil roulant, a dû être transporté sur l’estrade, faute d’autre accès. Trente ans plus tard, la situation n’a pas changé. Dans certains pays, l’Allemagne par exemple, des lois sont encore adoptées pour restreindre l’accès des personnes handicapées. Des décisions récentes en Allemagne ont, par exemple, exigé que les personnes handicapées d’un foyer communautaire restent à l’intérieur, sauf à des heures précises, parce que leur comportement pouvait offenser les voisins, et ont interdit les personnes handicapées dans les centres de vacances parce que leur présence ferait baisser les prix qui pourraient être facturés pour les vacances.14

Quelles sont alors les utilisations de ces trois termes ? En utilisant le terme de déficience, on reconnaît le fait que les personnes handicapées ont souvent un substrat physique à leur handicap. Il y a, si vous voulez, un aspect médical qui, s’il est reconnu, peut conduire à un traitement qui peut améliorer le problème. Malgré la présence certaine d’une déficience, le traitement n’est pas toujours nécessaire et peut en fait être préjudiciable. Sacks, par exemple, parle d’une patiente souffrant d’une épilepsie du lobe temporal qui se manifestait par la réminiscence d’une enfance oubliée, ce qui était, selon lui, une guérison pour cette personne. Elle a elle-même refusé le traitement de l’épilepsie pour ne pas être privée de ces réminiscences.15

Le terme de handicap reconnaît également un fait important : le handicap peut causer des désavantages qui, s’ils sont reconnus, peuvent être améliorés par la modification de l’environnement dans lequel la personne vit.

Le handicap, comme on l’a déjà noté, est le terme le plus difficile à utiliser car, en un sens, il n’a rien à voir avec la personne handicapée. C’est la déficience qui sévit chez le reste d’entre nous, l’incapacité à surmonter nos propres préjugés, qui fait que tout désavantage résultant d’une déficience ou d’un handicap est amplifié.

Dans la récente révision de la classification de l’OMS,16 on tente d’unir les deux modèles. La déficience et l’incapacité telles que définies ci-dessus sont réunies dans le mot handicap, et une classification distincte des facteurs environnementaux couvrant les obstacles à l’intégration des personnes handicapées créés par les attitudes sociétales remplace le concept de handicap. Devrions-nous donc abandonner le mot handicap comme l’a fait l’OMS ? A mon avis, non. Dans le nouveau système, on ne fait pas suffisamment la différence entre les facteurs environnementaux qui influencent la fonction, comme la qualité de l’air qui affecte la respiration, et les facteurs attitudinaux qui amplifient les problèmes d’adaptation des personnes handicapées. Ainsi, on peut prétendre que, dans la mesure où je ne suis pas personnellement responsable de la qualité de l’air, je ne peux pas non plus être tenu pour responsable des attitudes qui conduisent à s’opposer, par exemple, à un logement protégé pour les personnes handicapées dans ma rue. En conservant le mot handicap, défini comme je l’ai fait plus haut, comme une déficience de l’attitude des membres individuels de la société à l’égard du handicap chez les autres, cette confusion n’a pas lieu. Ce qui est positif dans la nouvelle classification, c’est que l’OMS suggère, comme je le fais, que nous abandonnions les modèles qui semblent destinés à garantir que notre propre discipline – la médecine, l’éducation, la sociologie ou autre – arrive en tête du débat, et que nous adoptions une vision véritablement holistique des problèmes rencontrés par les personnes handicapées, en travaillant avec elles pour garantir l’égalité des chances au sein de la communauté.

  1. Reindal SM. Handicap, thérapie génique et eugénisme – un défi à John Harris. Journal of Medical Ethics 2000;26:89-94.

  2. Harris J. Existe-t-il une conception sociale cohérente du handicap ? Journal of Medical Ethics 2000;26:95-100.

  3. Mundel G. Les anciennes croyances et les paralysés cérébraux. Rehabilitation Record 1968;9:16-21.

  4. Organisation mondiale de la santé. Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps. Genève : OMS, 1980.

  5. Organisation mondiale de la santé. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève : OMS, 2000 : 27-9.

  6. Hare RM. Santé. Journal of Medical Ethics 1986;12:174-81.

  7. Wells HG. Le pays des aveugles. Réimprimé dans : Dolley C, ed. Le livre pingouin des nouvelles anglaises. Harmondsworth : Penguin, 1967 : 103-28.

  8. Voir référence 7 : 124.

  9. Jones RB. Point de vue : Le consentement parental à la chirurgie esthétique du visage dans le cas du syndrome de Down. Journal of Medical Ethics 2000;26:101-2.

  10. Olbrisch RR. Prise en charge chirurgicale plastique des enfants atteints du syndrome de Down : indications et résultats. British Journal of Plastic Surgery 1982;35:195-200.

  11. Pueschel SM, Monteiro LA, Ericson M. La perception des parents et des médecins de la chirurgie plastique faciale chez les enfants atteints du syndrome de Down. Journal of Mental Deficiency Research 1986:30:71-9.

  12. Boorse C. Sur la distinction entre la maladie et le mal. In : Cohen M, Nagel T, Scanlon T, eds. Médecine et philosophie morale. Princeton, NJ : Princeton University Press, 1981 : 11-13.

  13. Sykes JB, ed. The concise Oxford dictionary of current English . Oxford : Oxford University Press, 1976.

  14. Anonyme . Ausgrenzung von Behinderten. (Exclusion des handicapés) Pflege Zeitschrift 1998;51:176.

  15. Sacks O. L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Londres : Picador, 1986 : 137.

  16. Organisation mondiale de la santé. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève : OMS, 2000.

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