‘Le pont des espions’ : Critique
Bien que le drame de la guerre froide Bridge of Spies de Steven Spielberg s’avère une célébration surdéterminée de l’intégrité, de l’impartialité et de la ténacité à l’américaine, sa star Tom Hanks tire le meilleur parti d’un rôle de héros résolument démodé. Renouant avec sa réputation de James Stewart des baby-boomers dans les années 1990, Hanks incarne avec brio James B. Donovan, avocat spécialisé dans les réclamations d’assurance à Brooklyn, dont les sourcils se froncent de plus en plus. Ancien conseiller de l’OSS et procureur adjoint à Nuremberg, Donovan est pressé de négocier le premier échange d’espions Est-Ouest dans le Berlin nouvellement divisé de 1962 et risque une certaine politique de la corde raide non autorisée pour arriver à ses fins.
Inhabituellement pour un film de Spielberg, Bridge of Spies est tonalement incertain, au point que son box-office pourrait en pâtir
Origine de l’écrivain britannique Matt Charman, dont le scénario a été peaufiné par Joel et Ethan Coen, Bridge of Spies a une structure peu conventionnelle pour un grand film hollywoodien. Il se concentre initialement sur l’arrestation en 1957, dans Brooklyn Heights, de l’espion soviétique Rudolf Abel (Mark Rylance), originaire de Tyneside, et sur sa défense infructueuse au tribunal par Donovan qui, malgré un regain de la paranoïa des Rouges au milieu de nous incitée par le procès des Rosenberg, parvient à convaincre le juge peu sympathique (Dakin Matthews) de sauver Abel de la chaise électrique.
Spielberg change de vitesse avec emphase lorsque le film présente l’entraînement par la CIA du pilote d’avion espion U-2 Gary Francis Powers (Austin Stowell), ainsi que sa capture et sa condamnation par les Soviétiques. Une autre intrigue s’ouvre lorsque la Stasi arrête Frederic Pryor (Will Rogers), étudiant à Yale, soupçonné d’espionnage à Potsdam. Ces éléments disparates sont habilement reliés entre eux lorsque Donovan – envoyé à la hâte à Berlin par le directeur de la CIA Allen Dulles (Peter McRobbie) pour échanger Abel contre Powers avant qu’il ne soit obligé de divulguer des secrets militaires américains au KGB – prend sur lui d’exiger que la libération de Pryor fasse partie de l’accord. Son supérieur hiérarchique à la CIA (Scott Shepherd) s’énerve en vain.
Bridge of Spies, présenté en avant-première au Festival du film de New York, est aussi fluide visuellement et techniquement assuré que tous les films de Spielberg. Son directeur de la photographie habituel, Janusz Kamiński, a contribué à créer des moments spielbergiens classiques : l’amitié tacite entre Donovan et Abel, qui est au cœur du film, s’approfondit lorsque de la lumière blanche jaillit par l’interstice d’un store de fenêtre ; un vaste plan d’ensemble de Donovan traversant Berlin-Est en S-Bahn réutilise l’expérience d’émerveillement familière aux films de science-fiction de Spielberg. Spielberg savoure, également, l’habileté de Donovan en tant qu’avocat, qui le relie aux avocats plus célèbres joués par Anthony Hopkins et Daniel Day-Lewis dans Amistad et Lincoln respectivement.
Pour autant, de manière inhabituelle pour un film de Spielberg, Bridge of Spies est tonalement incertain, au point que son box-office pourrait en souffrir. Les spectateurs qui s’attendaient à un thriller sur la guerre froide regretteront l’absence d’un suspense à la John Le Carré – ou d’un point culminant aussi éprouvant pour les nerfs que la longue marche du maître espion du KGB, Karla, à la fin de la mini-série Smiley’s People de la BBC en 1982, sur le pont Glienicke, où culmine également le film de Spielberg.
Ce sont probablement les Coen, cherchant à retrouver une saveur de la comédie frénétique de Billy Wilder sur la guerre froide, Un, Deux, Trois, qui ont intensifié le comique absurde des rencontres bizarres de Donovan avec l’avocat incongrûment flashy (Sebastian Koch), représentant les intérêts est-allemands, et l’homme du KGB aux allures de Peter Lorre (Mikhail Goreyev), qui se fait passer pour l’avocat représentant la femme et les enfants éperdus qui prétendent être la famille d’Abel. Le rhume de cerveau de Donovan, quant à lui, pourrait avoir été hérité de l’arriviste moralement compromis de Jack Lemmon dans The Apartment de Wilder. Les scènes de dialogue de Spielberg n’ont cependant pas le rythme et le venin de celles de Wilder, et il n’est pas surprenant qu’il soit plus à l’aise pour montrer comment le respect évolutif partagé par le Donovan fatigué mais motivé et le Abel lugubre mais stoïque surmontent facilement leurs différences idéologiques.
Amy Ryan a un rôle ingrat dans le rôle de la femme de Donovan dans des scènes qui montrent comment son soutien à Abel – et contre les sentiments nationalistes – lui coûte à elle et à leurs enfants la tranquillité d’esprit. Les scènes domestiques sont les moins développées.
Sociétés de production : DreamWorks Pictures, Fox 2000 Pictures, Reliance Entertainment, Participant Media, Studio Babelsberg, Amblin Entertainment, Marc Platt Productions
Distributeur national : Touchstone Pictures
Distributeur international : 20th Century Fox
Producteurs : Steven Spielberg, Marc Platt, Kristie Macosko Krieger
Producteurs exécutifs : Adam Somner, Daniel Lupi, Jeff Skoll, Jonathan King
Scénario : Matt Charman, Joel Coen, Ethan Coen
Cinématographie : Janusz Kaminiski
Monteur : Michael Kahn
Dessin de la production : Adam Stockhausen
Musique : Thomas Newman
Site web : bridgeofspies.com
Caractère principal : Tom Hanks, Mark Rylance, Scott Shepherd, Amy Ryan, Sebastian Koch, Alan Alda, Austin Stowell, Mikhail Goreyov, Will Rogers, Peter McRobbie, Dakin Matthews, Michael Gaston
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