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Complications liées aux médicaments

L’oxygène est un gaz très important. Nous savons tous que sans lui la vie est impossible, mais nous devons en même temps nous rappeler que l’oxygène est un gaz médical, un médicament, et qu’il a ses propres effets secondaires. Ainsi, tout en faisant tout notre possible pour prévenir l’hypoxie, nous devons maintenir la concentration en oxygène du gaz inspiré dans l’appareil d’anesthésie au niveau le plus bas possible pour rester compatible avec une bonne saturation de l’hémoglobine. Des concentrations élevées d’oxygène peuvent diluer la teneur en azote des régions pulmonaires et favoriser l’atélectasie d’absorption;1,2 des débits élevés d’oxygène sec peuvent assécher et irriter les surfaces muqueuses des voies aériennes ainsi que diminuer le transport mucociliaire et la clairance des sécrétions.2 L’oxygène en excès provoque une production accrue de peroxyde d’hydrogène, d’anion superoxyde, d’oxygène singulet et de radicaux hydroxyles, qui sont toxiques pour les lipides et les protéines des membranes biologiques. Chez les prématurés, l’excès d’oxygène peut provoquer des lésions oculaires telles que la fibroplasie rétrolentale. Enfin, toute atmosphère enrichie en oxygène constitue un risque d’incendie.2

Les agents anesthésiques par inhalation peuvent déprimer le myocarde, c’est pourquoi nous ajoutons toujours des opioïdes pour approfondir le plan anesthésique sans nous reposer uniquement sur les anesthésiques volatils. Les techniques régionales telles que le bloc caudal et le bloc inguinal peuvent également être utiles à cet égard. Il est important de se rappeler que les anesthésiques inhalés ont des effets protecteurs contre les lésions d’ischémie-reperfusion, et des auteurs récents suggèrent que ces effets peuvent également se traduire par une amélioration cliniquement pertinente de la fonction des organes.3 Cette capacité de protection a été liée à un effet de préconditionnement, un effet de postconditionnement, et également à un effet sur l’apoptose. Avec les agents volatils actuellement utilisés (Sévoflurane, Desflurane), l’hépatotoxicité anesthésique n’est plus un problème clinique significatif.3 Le Sévoflurane et le Desflurane ne sont contre-indiqués que dans les très rares cas de susceptibilité à l’hyperthermie maligne. Le sévoflurane est l’agent idéal pour l’induction de l’anesthésie par inhalation chez les enfants, car il n’irrite pas les voies respiratoires.4 Nous utilisons jusqu’à 8 % de sévoflurane pour l’induction, en diminuant rapidement la concentration programmée dès que l’enfant perd conscience. Le sévoflurane peut réagir avec un absorbant de CO2 desséché (c’est-à-dire un absorbant dans lequel un flux de gaz prolongé est passé pendant une longue période) et peut subir une réaction exothermique, endommageant les voies respiratoires.4 Le sévoflurane est un bronchodilatateur très efficace et, malgré les premiers rapports controversés faisant état d’une néphrotoxicité due à la production du composé A, un produit de dégradation résultant de l’interaction du sévoflurane avec l’absorbant de CO2, la chaux sodée, il n’est en fait pas du tout toxique pour les reins tant que le débit de gaz frais est maintenu à au moins 2 litres par minute4. Le desflurane ne convient pas à l’induction par inhalation en raison de son effet irritant sur les voies respiratoires, mais nous l’utilisons pour l’entretien de l’anesthésie (après intubation trachéale) même chez les nouveau-nés. Le desflurane est un bronchodilatateur et a un effet inotrope négatif modeste ; il n’a pas d’effet néphrotoxique. Le protoxyde d’azote peut inactiver la vitamine B12, provoquant des troubles neurologiques tant chez les patients que chez le personnel du bloc opératoire. On n’utilise jamais le protoxyde d’azote. Les effets toxiques sont particulièrement possibles chez les personnes présentant un déficit subclinique et préexistant en vitamine B12, mais il n’est pas possible de savoir à l’avance quels patients sont privés de vitamine B12. Le protoxyde d’azote a également l’effet bien connu de dilater toute cavité remplie d’air.

Les bloqueurs neuromusculaires sont les médicaments les plus utiles de notre arsenal pharmacologique mais la morbidité postanesthésique associée à une inversion incomplète des bloqueurs neuromusculaires est encore fréquente. Le sugammadex, un médicament relativement nouveau, est une cyclodextrine qui peut former un complexe très serré avec le rocuronium (moins avec le vécuronium et le pancuronium) permettant ainsi une inversion même pendant un bloc neuromusculaire profond.5 La cystéine peut inverser les effets du gantacurium, un nouveau relaxant qui est un chlorofumarate d’onium mixte asymétrique, et de l’AV002, un bloqueur neuromusculaire non dépolarisant expérimental5, mais des doutes subsistent quant à la sécurité de l’administration de cystéine exogène. Le suxaméthonium, le seul relaxant musculaire dépolarisant, a divers effets secondaires : il est un déclencheur d’hyperthermie maligne, peut provoquer une hyperkaliémie, une rhabdomyolyse, des spasmes des masséters et son action peut être très prolongée chez les personnes ayant de faibles taux sanguins de cholinestérases. Nous n’utilisons jamais le suxaméthonium : dans les cas où nous voulons un début de paralysie rapide nous injectons une dose élevée de rocuronium (1 mg/Kg) avec le grand avantage de l’antagonisme possible assuré par le sugammadex en cas de difficulté d’intubation. Dans la littérature internationale, il y a un débat constant sur la sécurité du suxaméthonium.6 Dans la revue de Rawicz et al, les raisons de continuer à utiliser le suxaméthonium, selon Martin Rawicz, sont les suivantes : i) il n’existe aucun autre médicament capable d’assurer une relaxation musculaire à la fois rapide et ultracourte ; ii) le bloc neuromusculaire produit par le suxaméthonium ne nécessite pas d’inversion ; iii) le métabolisme du suxaméthonium est indépendant de l’organe ; iv) le suxaméthonium peut sauver la vie en cas de laryngospasme sévère ; v) chez la grande majorité des patients, les effets secondaires associés au suxaméthonium ne sont jamais observés ou ont une importance clinique minime.

Barbara Brandom fournit les raisons suivantes pour arrêter complètement l’injection de ce relaxant : i) le suxaméthonium augmente la rigidité musculaire ; ii) les bloqueurs neuromusculaires non dépolarisants peuvent produire de meilleures conditions d’intubation ; iii) le suxaméthonium produit des douleurs musculaires ; iv) le suxaméthonium peut produire une myoglobinurie qui peut être une menace pour la fonction rénale ; v) l’évaluation des causes de la myoglobinurie peut être coûteuse ; vi) le diagnostic d’une myopathie occulte peut être difficile ; vii) le suxaméthonium a provoqué des arrêts cardiaques hyperkaliémiques mortels chez les nourrissons et les enfants ; viii) le suxaméthonium peut augmenter la pression intracrânienne.

En tout état de cause, nous pensons que l’antagonisme assuré par le sugammadex représente un facteur de sécurité supplémentaire avec l’utilisation du rocuronium et une utilisation plus large de ces médicaments devrait être recommandée.

L’anesthésie intraveineuse totale (AIVT) est une autre technique efficace et sûre pour gérer l’anesthésie au cours de nombreuses procédures chirurgicales et peut être appliquée également aux patients pédiatriques avec retrait de corps étrangers des voies aériennes pour lesquels l’AIVT peut assurer une ventilation spontanée. Le propofol et le rémifentanli sont les médicaments les plus couramment utilisés. Chez les patients atteints de myopathie, le TIVA représente une alternative valable pour éviter le risque d’hyperthermie maligne causée par les anesthésiques halogénés.

L’anesthésie régionale représente un vaste champ qui se développe dans la population pédiatrique avec une référence particulière aux techniques ultrasonores. Le bloc caudal épidural est l’un des blocs régionaux les plus courants. C’est une procédure simple et l’utilisation des derniers anesthésiques locaux (ropivacaïne et lévobupivacaïne) réduit le risque de cardiotoxicité et de neurotoxicité. Le bloc échographique du plan transversal de l’abdomen (TAP) est devenu récemment une technique très intéressante, y compris chez les patients pédiatriques, ainsi que les blocs nerveux périphériques échographiques, qu’il s’agisse d’une injection unique ou d’une perfusion continue d’anesthésiques locaux.7,8

Les réactions allergiques sont très rares de nos jours dans nos salles d’opération. Les allergies au latex peuvent survenir et également être prévenues en utilisant moins d’articles contenant du latex ainsi qu’en se renseignant sur ce problème lors de l’examen pré-anesthésique. L’utilisation de matériel sans latex est particulièrement recommandée lors de l’anesthésie de patients qui seront à nouveau opérés à l’avenir. Parmi les médicaments utilisés en anesthésie, les plus susceptibles de provoquer une réaction allergique sont les antibiotiques et, quoique très rarement, les myorelaxants. Si un patient a eu un choc inexplicable lors de l’induction d’une précédente anesthésie, il est conseillé d’utiliser un myorelaxant différent. Les manifestations cliniques de l’anaphylaxie sont les conséquences de la libération immédiate et continue de médiateurs préformés par les mastocytes et les basophiles.9 L’échelle de gravité clinique de Ring et Messmer, citée par Dewatcher et al, distingue les niveaux de réaction suivants : Grade 1. Signes cutanéo-muqueux : érythème, urticaire avec ou sans angio-œdème ; Grade 2. Signes multiviscéraux modérés : signes cutanéomuqueux ± hypotension ± tachycardie ± dyspnée ± troubles gastro-intestinaux ; Grade 3. Signes mono- ou multiviscéraux mettant en jeu le pronostic vital : collapsus cardiovasculaire, tachycardie ou bradycardie ± dysrythmie cardiaque ± bronchospasme ± signes cutanéomuqueux ± troubles gastro-intestinaux ; Grade 4. Arrêt cardiaque.

L’incidence globale de l’anaphylaxie périopératoire est estimée à 1 pour 10-20 000 procédures anesthésiques. Il convient de noter que dans certains cas, la bradycardie peut être un mécanisme adaptatif de protection de la vie qui permet au ventricule de se remplir malgré l’hypovolémie.9 Dans ce cas, le traitement par l’atropine doit être simultané avec l’épinéphrine et les fluides, sinon l’administration d’atropine seule peut entraîner un arrêt cardiaque. En fait, l’adrénaline et l’augmentation du volume intravasculaire sont les points clés de la gestion périopératoire de l’anaphylaxie.9 Dans les réactions de grade 1, il n’y a pas d’indication d’adrénaline (dans ces cas, nous nous contentons d’observer le patient, de signaler la réaction dans le dossier d’anesthésie et de ne donner aucun traitement, car la plupart de ces réactions sont auto limitées). Dans les réactions de grade 2, il est nécessaire d’injecter des bolus titrés (10-20 mcg) d’épinéphrine, alors que dans les réactions de grade 3, des bolus de 100-200 mcg sont nécessaires ; ce n’est que dans les réactions de grade 4 qu’il est nécessaire d’administrer 1-3 mg par voie intraveineuse. Il est important de différencier rapidement les réactions de grade 1, 2, 3 ou 4 car des doses inutilement élevées d’épinéphrine peuvent perturber la microvasculature cardiaque et entraîner un dysfonctionnement du myocarde. La cardiomyopathie induite par le stress, ou cardiomyopathie de takotsubo, est décrite après un choc anaphylactique et il n’est pas clair si le problème cardiaque provient du choc anaphylactique (spasmes des artères coronaires par les médiateurs anaphylactiques) ou de l’administration trop zélée d’épinéphrine10,11. Il existe de rares cas de chocs anaphylactiques réfractaires aux cathécolamines : dans ces situations, l’arginine vasopressine peut être une alternative grâce à ses effets vasoconstricteurs médiés par les récepteurs vasculaires V1 non adrénergiques.9 Une autre thérapie innovante est le bleu de méthylène car il interfère avec la relaxation du muscle lisse vasculaire médiée par l’oxyde nitrique. L’utilisation d’épinéphrine peut être une source de complications. La dose standard est de 0,01-0,02 mg/Kg par voie intraveineuse. Parfois, les médecins font preuve d’un excès de zèle et utilisent une dose élevée en raison de leur impatience dans le traitement d’une affection aiguë. Selon des études récentes, les doses élevées peuvent aggraver l’état hémodynamique du patient après la réanimation en provoquant une augmentation de la demande en oxygène du myocarde, une ectopie ventriculaire, une hypertension et une nécrose du myocarde. Les doses élevées n’améliorent pas la survie et peuvent être associées à un plus mauvais résultat neurologique.12 En particulier, nous pensons qu’il n’est pas judicieux d’utiliser des doses élevées d’épinéphrine dans des conditions telles que le choc hypovolémique dans lequel l’optimisation de la précharge est le traitement de première ligne. Les cathécolamines peuvent également perturber temporairement la microvasculature cardiaque, entraînant une dysfonction myocardique.10

La ventilation mécanique peut être une source de complications, en premier lieu le barotraumatisme et le volutraumatisme pulmonaires. Habituellement, nous commençons la ventilation mécanique avec un volume courant très faible ; puis nous l’augmentons lentement jusqu’à ce que nous observions le thorax bouger et entendions le gaz entrer dans les poumons avec le stéthoscope. Nous vérifions également le moniteur, en recherchant une courbe capnographique acceptable et une pression inspiratoire maximale dans les voies respiratoires ne dépassant pas 15-20 cm H2O. Nous craignons davantage les volutraumatismes-barotraumatismes qu’une hypercapnie modérée, aussi ne cherchons-nous pas à obtenir une normocapnie si cela implique une augmentation dangereuse de la pression inspiratoire maximale. Selon des études récentes résumées par Curley et al,13 la ventilation mécanique à des volumes courants faibles même cliniquement pertinents et pendant des périodes relativement courtes peut activer une réponse inflammatoire dans le poumon. Ainsi, si la ventilation mécanique à faible étirement initie une réponse inflammatoire, il est obligatoire d’éviter toute forme de baro-ou volutraumatisme dans les poumons, en particulier chez les nouveau-nés et les enfants.

La fluidothérapie fait partie du travail de l’anesthésiste. Nous conseillons d’essayer de toujours éviter l’hypovolémie ; ainsi, chez les enfants qui ont dépassé l’âge néonatal, et en l’absence de problèmes particuliers comme une maladie cardiaque avec rétention de liquide, nous sommes en faveur d’une administration libérale de sérum physiologique. L’enfant est capable d’uriner l’excès d’administration mais est incapable de créer de l’eau si nous perfusons une quantité insuffisante de liquides. Si l’enfant arrive en salle d’opération avec une perfusion d’hyperalimentation, il est préférable de ne pas l’interrompre, pour le risque de dérèglement métabolique secondaire aux arrêts brutaux. Lors de l’anesthésie d’un enfant avec une perfusion intraveineuse en état de marche, il est conseillé de se rappeler la loi de Poiseuille : les cathéters très étroits et très longs peuvent convenir à la nutrition parentérale et à la pharmacothérapie dans le service, mais ne sont pas fiables en salle d’opération pour l’administration rapide de médicaments, de liquides et de sang. Nous pensons donc qu’il est préférable de placer une canule intraveineuse normale, même si l’enfant a déjà un cathéter pour la nutrition parentérale. Les pompes à perfusion peuvent être une source de complication : la pompe continuera à pousser le fluide même si la canule est en dehors d’une veine, donc le site dans lequel la canule est positionnée doit être constamment inspecté.

Une surveillance hémodynamique attentive est nécessaire et l’utilisation de techniques invasives ou moins invasives est débattue. En général, nous préférons les techniques moins invasives ou non invasives. Nous avons récemment publié un article original intéressant sur les effets hémodynamiques de la lévobupivacaïne après une anesthésie caudale pédiatrique évaluée par doppler transœsophagien (Pediatric CardioQ). Nous avons démontré qu’aucune différence dans les paramètres hémodynamiques ne pouvait être détectée entre une anesthésie générale équilibrée avec une perfusion caudale de lévobupivacaïne ou de rémifentanil chez des patients pédiatriques subissant une chirurgie génito-urinaire. La surveillance hémodynamique par l’utilisation du doppler transœsophagien est facile à réaliser et est totalement non invasive. De nombreux paramètres hémodynamiques (débit cardiaque, débit cardiaque indexé, vitesse de pointe, temps de flux corrigé (FTc), volume d’éjection, volume d’éjection indexé, etc.) peuvent être évalués, notamment en ce qui concerne la perte de fluides pendant les interventions chirurgicales majeures. Cette méthode nous permet d’évaluer correctement la perte de sang, réduisant ainsi le risque de recourir à des techniques invasives. Le CardioQ pédiatrique peut également être appliqué chez les nouveau-nés et les nourrissons.14

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