Vibrio cholerae toxigène évolution et établissement de réservoirs dans les écosystèmes aquatiques

Résultats

Quatre départements – Artibonite, Centre, Nord-Ouest et Ouest – représentent 90% des cas de choléra signalés en Haïti (9). Nous avons concentré nos efforts sur le département de l’Ouest (Fig. 1A), une région côtière riche en écosystèmes aquatiques où nous avons isolé V. cholerae O1 toxigène à partir de sites fluviaux et estuariens fixes (Fig. 1A). La prévalence du V. cholerae O1 aquatique toxigène était corrélée à l’augmentation de la température et des précipitations, mais pas à la numération des coliformes fécaux, ce qui suggère que sa présence n’est pas due à la seule contamination fécale (10). Le nombre de cas mensuels dans l’Ouest, oscillant chaque année mais diminuant pendant la saison sèche et augmentant pendant la saison des pluies (avril à octobre), était corrélé avec l’augmentation de la température et des précipitations (Fig. 1B). Ceci est en accord avec les modèles de V. cholerae O1 endémique au Bangladesh et au Pérou, où les épidémies de choléra saisonnières sont en corrélation avec une augmentation de V. cholerae O1 dans l’environnement et une augmentation de la température de l’eau ou des précipitations (11, 12).

Pour distinguer l’évolution sous pression sélective (adaptation) ou la dérive génétique, nous avons calculé le rapport des taux de substitution non synonyme (dN) et synonyme (dS) (dN/dS) (Annexe SI, Fig. S6 et Tableau S5). La dynamique d’évolution des isolats cliniques était principalement déterminée par la sélection purificatrice (dN/dS = 0,6, P < 0,001), ce qui correspond à un D de Tajima négatif (-2,3, P < 0,005) et à une population subissant des goulots d’étranglement et/ou des balayages sélectifs. On s’attend à ce que la sélection négative soit à l’origine de l’épidémie déjà établie chez l’homme qui a atteint un pic dans le paysage adaptatif au cours d’un stade épidémique précoce dirigé par une sélection diversifiante (14). En revanche, les isolats environnementaux présentaient des taux de non-synonymes plus élevés (dN/dS = 2,1, P < 0,001), ce qui est caractéristique d’une population microbienne hétérogène récemment introduite dans un nouvel environnement et subissant la fixation d’une nouvelle sélection diversifiante induite par les variants. En fait, nous avons trouvé des empreintes moléculaires spécifiques de l’environnement dans les génomes de V. cholerae qui se sont répliqués avec succès et ont persisté dans l’environnement aquatique. Un total de sept mutations non synonymes dans les régions codantes, accordant potentiellement un avantage sélectif à la population environnementale de V. cholerae, sont apparues le long de l’épine dorsale de la phylogénie des isolats environnementaux entre 2012 et 2015 (Fig. 3 et Annexe SI, Tableau S7). Trois mutations spécifiques à l’environnement, deux au début de la bifurcation du squelette (Fig. 3) et une dans une branche interne (Annexe SI, Tableau S7), ont affecté des gènes du système de sécrétion de type II (TSSII) : les protéines A et G de la voie de sécrétion générale, et K (Annexe SI, Tableau S7). Le TSSII joue un rôle central dans la virulence et la survie de V. cholerae dans différentes niches, comme les réservoirs aquatiques ou les hôtes humains (26). D’autres mutations trouvées le long des branches internes ont affecté des gènes liés à la réponse au stress environnemental, à la chimiotaxie/motilité de V. cholerae en réponse à des indices environnementaux fluctuants, au contrôle de la longueur du crochet du flagelle, à la formation de biofilms dans l’environnement extra-intestinal et à la croissance exponentielle en réponse aux nutriments disponibles (Annexe SI, Fig. S7 et Tableau S7). Les isolats environnementaux qui ont contribué avec succès à la lignée environnementale évolutive ont été collectés non seulement près des hôpitaux et des centres de traitement du choléra situés à Gressier, mais aussi dans les régions voisines de Goave et Carrefour (Fig. 3).

Fig. 3.

Évolution et adaptation de V. cholerae dans les réservoirs aquatiques haïtiens. Relation phylogénétique et distribution géographique de 27 isolats environnementaux collectés entre 2012 et 2015 en Haïti. Les mutations non synonymes acquises au cours de l’évolution de la population environnementale, reconstruites par inférence bayésienne des états ancestraux, sont indiquées le long de la colonne vertébrale de l’arbre. Les SNP détectés le long du tronc (lignée survivante) de l’arbre ont été numérotés séquentiellement de 1 à 7 pour faciliter la comparaison avec les informations supplémentaires rapportées dans l’annexe SI, tableau S7. Les cartes montrent les sites d’échantillonnage, regroupés par source aquatique, étiquetés avec des points jaunes, rouges, orange et cyan dans la région de Gressier, violets pour Carrefour, et bleus dans la région de Jacmel.

La preuve des forces évolutives épidémiologiques et environnementales conduisant l’épidémie haïtienne nous a motivés à considérer un modèle dynamique de transmission de suivi du choléra et de génétique des populations à travers les environnements aquatiques et les hôtes. Comme dans les modèles antérieurs du choléra de notre groupe (27), notre modèle épidémiologique sous-jacent est basé sur le cadre sensible-infecté-récupéré avec réservoir (SIRW), une extension du cadre classique sensible-infecté-récupéré (SIR) avec un compartiment supplémentaire pour la concentration de l’agent pathogène dans un réservoir aquatique (W) (Fig. 4 et Annexe SI, Figs. S8 et S9). Conformément à Kirpich et al. (27), nous avons permis la réplication en dehors de l’hôte, ainsi que la saisonnalité de la transmission, de l’excrétion et de la décomposition dans l’environnement, comme le suggère la corrélation significative du nombre de cas avec les précipitations. En plus de cette formulation épidémiologique, nous avons considéré une composante évolutive dans notre modèle. La dérive neutre et les pressions de sélection sont prises en compte dans notre cadre multilocus, où nous mesurons Ne en calculant la diversité génétique et en utilisant des approches de coalescence (annexe SI, texte). Conformément à d’autres études, nous avons supposé un compromis entre la capacité de survie dans l’environnement et la capacité de transmission de l’hôte pour les loci soumis à la sélection. Les résultats des simulations du modèle récapitulent les caractéristiques qualitatives de Ne et des comptages de cas mensuels (Fig. 4A et Annexe SI, Fig. S8).

Fig. 4.

Modèle de transmission mixte du choléra et prédiction de la vaccination. (A) Ne (taille effective de la population) observée à partir des données (gris) et dans la simulation avec réplication environnementale (vert) et Ne dans la simulation sans réplication environnementale (violet). (B) Scénarios distincts de vaccination et de contrôle pour la simulation du modèle avec réplication environnementale, en particulier des couvertures vaccinales de 64 % (taux de 0,01 j-1), 88 % (taux de 0,04 j-1), et 64 % avec une augmentation de 10 % du taux de dégradation environnementale. Nous définissons ici la couverture vaccinale comme la réduction en pourcentage des individus sensibles (après avoir atteint un état d’équilibre approximatif après 2 à 3 mois de vaccination). Contrairement à Kirpich et al. (27) et aux simulations sans réplication environnementale (Annexe SI, Fig. S10) dans lesquelles une couverture vaccinale de 64% permet d’éradiquer l’agent pathogène en un an, ici, il faut soit plus de vaccination (couverture de 88%), soit une augmentation de la décroissance environnementale (augmentation de 10%) pour contrôler le choléra en présence de réplication environnementale.

D’abord, la sortie du modèle et les données affichent toutes deux une hausse et une baisse de Ne reflétant initialement une expansion rapide suivie d’une sélection négative après l’épidémie initiale (Fig. 4A). Ensuite, l’observation d’une deuxième croissance de Ne en 2013, plus importante que ce que l’on pourrait attendre de la seule transmission par l’hôte, produite par une flambée saisonnière précédente et se prolongeant dans une période d’incidence réduite. Notre hypothèse de diversification au sein du réservoir aquatique offre une explication à cette recrudescence relative de Ne, et est soutenue par des simulations raisonnables du modèle où l’inclusion de la réplication environnementale permet cette exploration évolutive, contrairement aux cas sans réplication environnementale (Fig. 4A et Annexe SI, Fig. S8). En particulier, pendant le pic de fin 2012 à mi-2013, des uuSNP ont été détectées dans les gènes suivants de la lignée environnementale survivante : Vch1786_I0012 (1 C→T), gène Vch1786_I0051 (3 C→T), Vch1786_I0998 (30 G→A), Vch1786_I1539 (44 A→G), rseA (52 G→A), epsG (61 A→C) et Vch1786_II0794 (107 C→A) (Annexe SI, Fig. S3). Les mutations de ces gènes peuvent avoir contribué à une adaptation accrue des souches environnementales dans l’écosystème aquatique, même si de futures études in vitro seront nécessaires pour étudier leur contribution à la fitness de V. cholerae. Le pic de réplication environnementale est suivi d’une baisse substantielle de Ne commençant avant la grande période d’accalmie de 2014. Une fois encore, l’incidence des cas n’explique pas entièrement l’ampleur de cette baisse. Alors que le goulot d’étranglement de la population induit une diminution de Ne, les simulations suggèrent que la réplication environnementale est nécessaire pour accélérer la fixation des gènes adaptés à la persistance dans le réservoir aquatique. À la fin de l’année 2014, les réservoirs environnementaux se répandent sur les hôtes avec un pic de cas cliniques, probablement renforcé par une adaptation bénéfique de l’hôte et/ou une perte d’immunité dans la population hôte. Des simulations approfondies calibrées sur les données de cas suggèrent que pour mieux s’adapter au Ne observé, la réplication environnementale devrait être incluse dans le modèle. Une ramification majeure de nos résultats est que la réplication et l’adaptation au sein du réservoir aquatique peuvent rendre plus difficiles les stratégies de contrôle ciblant la transmission par l’hôte. En effet, en faisant une projection à partir de 2015 dans les simulations, nous avons observé que la vaccination peut facilement éliminer l’agent pathogène en l’absence de réplication environnementale (Annexe SI, Fig. S10). Cependant, pour une adaptation et une réplication environnementale cohérentes avec le Ne observé, la vaccination d’une partie beaucoup plus importante de la population ou l’ajout d’une intervention affectant le réservoir aquatique est nécessaire pour éliminer le choléra dans notre modèle dynamique à transmission mixte (Fig. 4B).

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